L'immonde

Je m'étais procuré, il y a de cela deux ou trois éternité, le gros livre de Luc Ferry « Qu'est-ce qu'une vie réussie ? ». Et je ne l'ai jamais ouvert. Je m'étais promis de le lire. Plus tard. Mais il me semble aujourd'hui que ce "plus tard" n'adviendra pas. Il doit traîner quelque part au fond de ma bibliothèque.
Cela m'intéressait beaucoup à cette époque de savoir comment la bourgeoisie, cultivée et ultra diplômée, pensait et vivait. Raison pour laquelle je me tapais, soir après soir, toute la filmographie de Jeanne Labrune. Pour voir ces messieurs-dames, sapés "haute couture", évoluer sous leurs beaux plafonds Haussmanniens. Pour les regarder et les entendre vivre, penser, aimer. J'avais une sorte de « complexe de classe », moi, le "bon élève des mauvaises classes", le zonard de bar à bière, le poète des caniveaux. Et je voulais m'en débarrasser.

Je n'ai jamais vraiment souhaité "réussir ma vie". Ni particulièrement la rater non plus. Je voulais seulement qu'on me fiche la paix. Végéter sous un toit à boire de la bière avec un chat et le chauffage, voilà qui correspondait à ma vision du bonheur terrestre. Du moins, c'était la seule, parmi deux ou trois autres, auxquelles je rêvassais vaguement le soir, à laquelle je pouvais raisonnablement prétendre.
Je ne me gênais pas, cependant, pour taquiner, à l'occasion, et parfois lourdement, mes contemporains. Même un gros paresseux a besoin de s'occuper un peu, de se dégourdir la malice.
Bref, je n'étais pas spécialement "perdant" - je connaissais les vanités de ce monde -, j'étais simplement gentiment perdu. Sans boussole, ni véritable cohérence comportementale, je flottais dans l'existence. Dans un décor de troisième ordre, une série B petit budget, je ne me préoccupais que de chercher un joli derrière à aimer. La peau, il n'y a que ça de vrai.

Perdu, oui, je l'étais. Je n'ajouterai pas « comme tout le monde » toutefois car je remarquais que certains menaient plutôt bien leur barque et se sentaient comme des poissons dans l'eau dans ce monde de requins, joliment appelé par d'autres « l'immonde ».

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