Pour tout bagage on a vingt ans

J'écoutais "vingt ans" de Léo Ferré tout à l'heure, et dans cette chanson il y a une phrase qui fait mouche, qui semble avoir été écrite pour moi.
L'année de mes vingt ans, je m'en souviens très bien, je vivais avec ma mère dans un petit appartement en ville, qu'elle avait loué pour me rapprocher de ma vie noctambule, trop difficile d'accès depuis le village où nous vivions auparavant.
J'étais déscolarisé, désorienté, sans but ni boussole, sans foi ni loi, en proie à la rage et à l'affreuse anxiété de devoir bâtir un "avenir", de devoir "gagner" ma vie, d'assumer enfin un rôle d'adulte dans une société que tout mon être récusait.
J'errais donc la nuit, de bars en bars, de délires fantasques en déceptions amères, de déconnades sauvages en lits de hasard, repoussant l'horrible échéance, tandis qu'elle, ma mère, travaillait, pour me payer cette vie, cette petite liberté, en attendant... En attendant quoi ? Même elle ne le savait plus vraiment. Nous étions un peu perdus tout les deux à cette époque là.
Le matin, quand je rentrais aux aurores, et après m'être couché, j'entendais avec angoisse le réveil qui sonnait, dans sa chambre à côté, le début de son bagne quotidien. J'expérimentais avec cette femme, qui sera la seule et unique amie de ma misérable existence, le grand vide du monde et le grand Rien, aux allures de vent, de mon coeur.

"Ce rien qui fait sonner la vie
Comme un réveil au coin du lit"

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