Neuneu

- Parfois, je me demande si je ne suis pas un peu neuneu.
- Tu radotes, Max...
- Quand je vois toutes ces préoccupations à mille lieues des petites pensées imbéciles qui peuplent mon quotidien, toutes ces polémiques, toutes ces ambitions, toute cette intelligence déployée, ce besoin d'exister, de briller. Ces complications, ces guerres, ces malheurs, ces tortures... Cette haine maladive surtout, du chacun contre tous, et cette incroyable énergie dépensée pour tuer, pour vaincre, pour dominer, pour asservir... Il semble que tous y prennent un plaisir qui me paraît, à moi, un brin démesuré.
- Rien de nouveau là-dedans hélas, mon pauvre Max.
- Oui, je l'avoue : tout ce cinéma me surprend encore, me déprime et me fait même un peu peur. Je lui préfère mon imbécillité. Ma simplicité de façon née de cette intuition intime que tout était foutu. Et cela dès l'origine. J'ai fait, assez tôt finalement, le deuil de l'Amour, de la reconnaissance aussi. Simple passant, tant lassé que désoeuvré, je laisse aller et, spectateur plutôt conciliant, j'assiste passivement à ma vie, et à celle des êtres qui m'entourent. La déglingue, le Grand N'importe quoi. Cela m'amuse encore quelquefois. Ou me terrifie, c'est selon. On a voulu me faire croire, quand je n'étais encore qu'une biche candide, que j'étais un sale type. Je l'ai cru, pauvre de moi, mais maintenant je le sais : "les méchants c'est pas nous", c'est pas moi. Quand je vois ce dont sont capables mes contemporains, je me trouve bien peu imaginatif, assez inoffensif et simple dans le fond.
- Simple, je n'irai pas jusque-là.
- J'accepte aujourd'hui, avec résignation et mélancolie, que l'amour ne soit que ce qu'il est, c'est à dire très peu. Et qu'il soit tout de même ce qui peut nous arriver de mieux. Ou de pire, c'est équivalent. Oui, j'accepte que la vocation inéluctable de tous soit de rater sa vie, et même de la gâcher. J'accepte aussi de mourir, de vieillir, de "m'endormir comme le bruit"... J'accepte que ma vieille révolte me réveille et me tourmente encore quelquefois, et j'accepte aussi ma solitude.
- Que tu es solennel...
- Je ne sais même pas si je me pose encore "des questions", comme on dit. Je ronchonne sur le pèse-personne, je picole, je blague, je me fais engueuler... Par toi, le plus souvent. Un quotidien un peu médiocre, obscur. Sans éclat, ni lustre.
- Ta vision de notre vie me réjouit...
- J'essaie d'accepter ma nullité, mon zéro pointé, qui m'a tant fait complexer, jeune homme. Mon absence de style, ma vulgarité aussi parfois... Je me dis que tout finira bien par finir - tout fini toujours par finir -, que « qui m'aime me suive », et qu'autant, au final, en emportera la chasse d'eau...
- Tu devrais déposer un copyright sur cette expression.
- Peut-être suis-je un peu frivole ? Peut-être suis-je un peu léger ? Sans doute ne suis-je pas assez "sérieux". Peut-être suis-je un peu neuneu ? Un crétin lambda au destin dérisoire...
- J'imagine que c'est encore moi qui vais faire la vaisselle ce soir ?
- Mais oui mon amour car c'est ton des-tin !

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