Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage


A vingt ans, je connaissais déjà ma vocation : en finir. Mais j'avais encore cette énergie de la jeunesse. Je décidais un jour de « partir pour Paris ». Je ne connaissais pas la ville lumière, alors, comme ça, n'ayant rien d'autre à foutre (l'ANPE pouvait bien aller se faire voir) je m'organisais une petite semaine.

Plus tôt, pour 300 francs, je m'étais fait enregistrer une cassette audio déplorable par un guitariste de restaurant, trouvé dans un journal local, qui me prenait pour une dinde, et où je chantais d'une façon catastrophique du Allain Leprest.

L'enregistrement, vraiment, était inaudible, pourtant, une jeune amie de l'époque, une rougeaude au visage de pomme, à qui je l'avais orgueilleusement fait écouter me dit : « On dirait du Léo Ferré ».

Curieusement, la basse lourde qui m'accompagnait - qui sentait la digestion et la flatulence - que le bonhomme au cheveux gras m'avait imposé et que je détestais alors sans oser moufter, me paraît, aujourd'hui, le plus intéressant de ce pitoyable enregistrement.

Bref ! Dans une sorte de point jeunesse, je cherchais un hébergement gratuit, pour jeunes en insertion ou un truc dans le genre, et après avoir pris rendez-vous avec une agence parisienne qui cherchait de jeunes talents prometteurs, je m'embarquais illégalement dans le train de l'Eldorado ! (Que ma mère, recevant plus tard les amandes délivrées par les agents SNCF, paya doublement)

Arrivé au foyer jeunesse qui allait m'héberger pour une semaine gratuitement, un type très gracieux me demanda "pour quelles raisons" etc.

- J'en avais marre de contempler la Garonne, dis-je, je me disais que la Seine me changerait un peu.

Il sourit et me confia :

- Vous savez, les jeunes dans ce foyer ne sont pas comme vous.

Ce à quoi je répondis :

- C'est parce qu'ils se mentent à eux-mêmes.

L'affaire fut entendue.

J'allais à mon rendez-vous musical. Dans une petite pièce enfumée et dégueulasse passait ma cassette. Le type d'une vulgarité presqu'outrageante, me dit :

- Vous vous y prenez tôt c'est bien. Qui voudrait de Sylvie Vartan aujourd'hui ?

Puis il me donna le tarif (exorbitant) pour enregistrer un titre avec une musique pré-écrite.

Je sorti de là anéanti.

Je relisais les petites annonces, en bouffant un reste de pâtes réchauffées au micro-onde, vers 18h dans un troquet parisien qui avait bien voulu me servir, et je téléphonais pour participer à un film de cul.
Sans succès. Les types de la prod me voyant débarquer, tout maigre, désespéré et mutique osèrent à peine m'offrir, du bout des doigts, un verre d'eau.

Je me promenais dans Paris. J'écoutais de la musique dans mon Walkman. Walkman qu'avaient repéré de sales petits voyous dans le foyer où je dormais. Ils "copinèrent", venant souvent toquer à la porte de mon cagibi. Pas dupe, je me laissais tout de même faire. Et puis, je me décidais enfin ! Je demandais au plus patibulaire des trois s'il pouvait me procurer un flingue. Il ne sourcilla pas. Son génie déductif m'épatait : «  Tu veux régler des comptes » me dit-il. C'était ça, je voulais régler mes comptes avec moi-même, avec la vie, avec mon enfance, avec le monde, mais cette brute n'en su rien.

Il me dit « Ok, tu me prêtes ton Walkman et je te donne ça demain. »

Le lendemain, plus personne bien évidemment.

Je repris mon train de retour, bien vivant et un peu déboussolé.

Que dire ? J'ai été immature très longtemps. En sixième, au collège, j'étais un très bon élève mais les professeurs hésitaient à me faire redoubler - selon les dires de ma mère - car ils me jugeaient trop jeune, trop immature.

Au "cours moyen première année", j'embêtais tout le monde. Mon institutrice d'alors me détestait. Ma mère raconte que cette femme, qui fautait avec l'autre instituteur, marié, de l'école de village où je me morfondais - je me souviens de slows, à la fin de l'année, assez langoureux... On se serait cru dans un film de Chabrol sans Stéphane Audran -, pensait que je trichais aux devoirs.

- Votre fils a toujours de bons résultats et pourtant il n'écoute rien en classe !

- Mon fils n'est pas un tricheur, du moins pas encore, répondait à peu près ma mère, affligée et désespérée.

Le primaire premier, les trois premières classes, je les ai passé dans une autre petite ville. Là aussi, hélas, l'institutrice me haïssait. Elle convoquait ma mère tous les soirs, elle.

- Votre fils, votre fils !!! (...)

C'était la harangue habituelle que ma mère devait se farcir chaque jour de la semaine.

Cette furie, sur talons haut, en blouse et chignon austère, n'en démordait pas : J'avais un sérieux problème !

Ma jeunesse, et ma vie toute entière au fond, ne furent qu'un ténébreux orage.

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