Une fleur de l'ennui

« S'ennuyer c'est chiquer du temps. »
Cioran.

Quand je m'ennuie, je regarde les politiques à la télévision. J'ai beau faire preuve de la meilleure volonté du monde, je n'arrive pas à comprendre ce qui peut motiver mes contemporains. Ces hommes sont pour moi une énigme. Quelle énergie dépensée... Il y a, chez la plupart, une sorte de passion, un aveuglement, une sottise pour tout dire, assez extraordinaire. Il semblerait que rien ne puisse ébranler leurs médiocres convictions, aucun doute ne semble avoir droit de cité dans leurs petits occiputs. Tout est clair, net et précis : circulez, il n'y a pas à douter ! C'est dingue.

Mais c'est eux qui ont raison. A trop peser le pour et le contre, on n'agit plus. Le non-agir a mauvaise presse de nos jours. Agir implique de faire des choix. Des choix responsables, engagés et virils. C'est ce qui terrifie les tièdes, les indécis, les sceptiques : On ne peut pas tout réaliser. Faire un choix cela implique la mort de tous les autres possibles. Mon choix sera-t-il le bon ?

De toute façon, nous sommes condamnés à « choisir ». « I would prefer not to » murmurait Bartleby, mais s'abstenir, ne pas vouloir bouger, c'est aussi faire un choix. Sommes-nous libre de ceux-ci ? C'est une autre question. Le temps passe et dessine, jour après jour, seconde après seconde, la figure de notre destin, qui est la succession de nos actes dans le temps. De nos choix donc, ou de nos non-choix, ce qui revient au même. Clément Rosset illustre cette pensée de l'inéluctabilité d'avoir un destin, dans son essai sur le réel, par cette phrase prise dans Au dessous du volcan de M. Lowry : « Tandis que d'une certaine façon de toute façon, ils allaient leur chemin. » En effet, il y a une infinité de façon d'aller son chemin mais une seule sera réalisée. Une et c'est tout. Qu'elle soit heureuse ou pas, assumée ou pas. S'il y a une fatalité c'est bien celle-ci : le réel s'exécute inéluctablement, implacablement, que nous en soyons les acteurs conscients ou pas, volontaires ou pas. Notre destin s'écrit, minute après minute et, quand nous mourrons, nous n'aurons été que la somme de nos actes et de nos pensées. Rien de plus. Rien de moins. Rien n'est écrit à l'avance, rien n'est prévu, mais tout se réalise dans un mélange de hasard fabuleux et de déterminisme fatal. C'est en ce sens que naître est un « inconvénient » comme l'écrivait Cioran, la naissance, puis la vie qui la suit, sonnant le glas de l'Infini pour laisser place à un être fini de tout cotés : moi. Ou vous.

« Une nuit je m'endormirai pour ne plus me réveiller. Comme tous les soirs, je me serai posé la question : « Qu'as-tu fait de ta vie ? » et pour la dernière fois, je répondrai : « rien. » »
Roland Jaccard.

Alors qu'est-ce qui fait pleurer les blondes ? Qu'est-ce qui fait tourner le monde et refleurir les lilas ? Qu'est-ce qui fait qu'il y a des Bartleby et des Sarkozy ? Peut-être une constitution organique différente. Tout peut se résumer à la chimie finalement, qui fait que certains seront hyperactifs et d'autres portés à la contemplation. On ne choisit pas son cerveau.

« La moindre variation atmosphérique remet en cause mes projets, je n'ose dire mes convictions, écrivait encore Cioran. Cette forme de dépendance, la plus humiliante qui soit, ne laisse pas de m'abattre, en même temps qu'elle dissipe le peu d'illusions qui me restaient sur mes possibilités d'être libre, et sur la liberté tout court. A quoi bon se rengorger si on est à la merci de l'Humide et du Sec ? On souhaiterait esclavage moins lamentable, et des dieux d'un autre acabit. »

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