Pensées vagabondes (2)

« Ecrire n'est qu'un pis-aller, une faiblesse, une lâcheté. Le véritable refus doit s'exprimer par l'abstention et le silence. »

« Passer ma vie entière dans une cellule, sans piper mot, ni accomplir un geste. Le silence et l'abstention sont les seules formes de révolte qui ne trahissent pas ce qui la suscite. »


Charles Juliet.


Cet ermite, cet homme tourmenté qui écrit son journal, lui arrive-t-il de se masturber au long de ces longues journées d'accablement ? Il ne le dit pas.

« Nous sommes tous les gardiens de quelques secrets sur nous-même dont nous ne sommes pas fier, dont nous ne nous vantons pas », me dit-il, l'air accablé.
« Encore heureux ! » explosais-je.

La joie insolente des maîtres de ce monde me renvoie souvent à ma triste condition. Et me fait les haïr d'aimer moins ce qui m'entoure à cause d'eux.

« Quel enfer... », soupira-t-elle.
« Il n'y a d'enfer que pour les fous ou les sots, Suzanne. L'homme sain vit dans le trivial », bailla-t-il.

Cet esprit de dérision, de moquerie permanente, de « cool attitude », cette veulerie « atmosphérique », pour parler comme Louis Jouvet, auquel, par lassitude et ennui, il m'arrive de participer, m'écoeure, me déplait beaucoup dans le fond. Je lui préfère mon ami et son sérieux de jeune homme cultivé.

Cet homme, croisé dans la rue, me hait. Sans aucune raison, il me hait. Mais peut-être cherchait-il simplement quelqu'un à haïr ? et c'est tombé sur moi.

Ce méchant bougre qui me fixe et qui voudrait me faire honte du peu que j'ai et qu'il n'a pas, s'il savait que je suis peut-être plus démuni que lui.

Ce type est odieux, repoussant, immonde. Et il le sait. Il en jouit.

Il n'y a que mes semblables qui m'ont aimé. Ceux qui comprenaient mon angoisse, ma détresse, partageaient mon mal de vivre. Les autres, plus nombreux, m'ont soigneusement évité quand il ne m'ont pas été hostiles.

La rusticité, la tranquillité et la simplicité de certains êtres me plongent dans des abîmes d'admiration, et de honte de moi-même.

Ma peur de vivre s'est émoussée, assoupie. Elle s'est transformée en flemme.

Ce garçon perdu, angoissé, malade peut-être. Tout le long du dîner, l'impression d'être une planche de salut.

Pour écrire un livre sur « rien », comme le souhaitait Flaubert, il suffit à n'importe qui de se prendre pour sujet.

Un rien, un souffle, une pensée suffit à m'ébranler, à me faire douter. Je suis une feuille dans le vent.

Toute cette heure vide, à ne rien faire. A ne penser à rien. A ne rien lire, ne rien écrire. Simplement écouter les bruits de la ville. Et le battement de mon coeur.

Je ferme les volets, tire les rideaux et m'assois près de la lampe. Aujourd'hui l'Histoire s'écrira sans moi.


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