Papoter

Ma mère adore raconter des anecdotes sur mon enfance agitée et insolente. Ainsi, après quelques verres de champagne, dont elle raffole, il n'est pas rare qu'elle évoque madame Chazotte, « l'échalote, comme je l'appelais » plaisante t-elle ravie d'un si beau trait d'esprit, mon institutrice de CE2.
Madame Chazotte était une demoiselle d'une quarantaine d'années très respectable, coiffée d'un grand chignon, vêtue d'une blouse impeccable, chaussée de talons hauts vertigineux, trait bizarrement érotique chez elle, et affichant à tout moment, comme il se doit j'imagine, un visage austère. Moi, je l'adorais. Je lui trouvais un charme fou. Je me souviens même avoir eu pour elle comme un vague sentiment, mièvre et attendri, de « reconnaissance », au vu, j'imagine, des efforts qu'elle déployait, la pauvre petite, pour nous « éduquer », nous, méchants petits bougres incultes et dissipés.
Ce jour-là, madame chazotte était allée faire quelques photocopies. Elle avait désigné l'élève le plus sage de la classe pour nous « surveiller ». Bien sûr, une fois disparue, j'envoyais le merdeux se rasseoir pour proposer à mes camarades un spectacle d'imitation de mon cru. Je nouais mes longs cheveux en chignon et me mis à imiter la grande demoiselle Chazotte, sous l'hilarité générale des garnements. Elle revint et me surpris dans mon one-man comique.

- Non mais, vous vous rendez compte madame Maximoff, (ma mère était « convoquée » tous les soirs, sans exception) un enfant NORMAL aurait eu peur, serait allé s'asseoir à sa place, mais pas VOTRE FILS, vous savez ce qu'il m'a dit, VOTRE FILS ?
- Non...
- « Oui ? Vous désirez ? »

Ma mère en pleure de rire (et d'amour ?) encore aujourd'hui.

« Nous nous connaissons parce que nous nous écrivons. Chaque mot de vous m'est adressé. Et je vous répond sans que vous le sachiez. »

En ce moment tout me charme. Mon quartier, ses tenues bigarrées, le mauvais goût présent dans toute la ville, même faire la queue dans une banque me plaît. Je souris aux commerçants, pire ! je gazouille avec les enfants, je m'arrête pour indiquer leur chemin à des mecs patibulaires, qui eux veulent surtout me vendre des cigarettes au goudron. Je fais un brin de causette avec le clochard schizo du coin de la rue, et je file pile avant qu'il ne s'énerve. J'aide ma vieille voisine à porter son cabas vide – alibi pour aller se balader sans avoir l'air de flâner. Cette dame a honte de ne pas avoir de destination quand elle sort dans la rue. Alors qu'elle en a une de destination, la même que la mienne. La même que tout le monde.

Elle est vraiment jolie cette demoiselle. Mais qu'est ce qu'elle est revêche dis donc ! On imagine, à sa façon de bouger, qu'elle devait rêver d'être un garçon quand elle était petite fille. Mis à part la beauté étonnante des traits de son visage, qu'elle fait vraiment tout pour dissimuler, on dirait que c'est aujourd'hui chose faite.

Sous mon bureau, il y a :
Deux trois p'tits pois un peu flétris... Une vieille cannelloni solitaire... Des moutons... Beaucoup de moutons... une rognure d'ongle ! Ce n'est pas un environnement très distingué...

« L'envie est ridicule, me dit-il. Si vous étiez celui ou celle que vous enviez tant qu'auriez-vous à la place de votre misère ? La sienne. Y gagneriez-vous vraiment ? »

- Je ne suis pas un moraliste forcené mais je n'y peux rien le monde me dégoûte. Mon désarroi est tel qu'il m'arrive d'être violent. Comme je ne sais pas me battre, c'est compliqué, on m'a déjà cassé le nez deux fois... Qu'espérais-je donc de si fabuleux pour être tant déçu ? Rien d'extraordinaire il me semble : un peu de compréhension, de compassion, de tendresse. Mais depuis que ma mère est passée dans l'au-delà, je n'ai plus accès à cette gratuité de l'amour. Tu prends combien ?
- 30€ la pipe, 80 la totale.
- Va pour la totale, mon chou.

Gueule de bois. Toto s'en fout, il miaule. Je comprend son message : «  On mange quand ? »

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ouverture

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage

Wouaf !