Monsieur Klein est mort


J'ai visionné, il n'y a pas longtemps, le téléfilm de Bernard Stora, « Suzie Berton », avec Line Renaud en vedette. C'était amusant, très bien construit, assez juste et bien fait. « Le rôle de sa vie » ai-je pensé en ricanant. Il n'empêche : Line Renaud dans « Monsieur Klein », fallait y penser !

Beaucoup s'étonnent quand j'évoque, très rarement pour ne pas trop passer pour le fou que je suis, ce film « Monsieur Klein », et la façon dont je l'ai interprété.

J'étais très jeune quand je l'ai vu - et je n'ai jamais voulu le revoir. Je le visionnais donc pour la première et unique fois à la télévision, lors d'une redif, sur Arte je crois, avec une curiosité de cinéphile apprenti, quand à un moment du film, mon regard dévia.
Il me sembla d'un coup, et étrangement, que le discours tenu, que l'histoire elle-même cachait un autre propos. Plus important, plus essentiel, secret. Tout d'un coup, sans le vouloir, j'étais entraîné dans une lecture paranoïaque, Kafkaïenne et presque schizophrénique de l'oeuvre.

Je connaissais déjà le double langage des « sucettes » de Gainsbourg-Gall mais là, sous mes yeux ébahis et incrédules, s'exprimait une forme de « manipulation » plus adulte, plus politique, plus sérieuse. Alain Delon n'était plus un simple acteur, un simple personnage dans un film de divertissement, il était le sujet même d'un film très dur et très sérieux, la figure emblématique du propos, plus large et grave, de Losey. Et je mesurais, avec effroi, le risque majeur qu'il y avait à s'exposer de la sorte et à fréquenter certains artistes.

Il faut dire que j'avais lu « Crime et châtiment » quelques jours auparavant. Et ce livre m'avait bouleversé. Parce qu'à mon corps défendant, j'avais saisi quelles formes, inattendues pour moi, pouvait prendre le « langage ». Et ce que cela pouvait peut-être signifier : « une œuvre d'art ».

En lisant le livre de Dostoïevski, ma lecture m'avait lentement fait dériver vers une autre forme de « savoir ». L'histoire, le propos du livre devenait caduque, inessentiel, cachette obligatoire, codifiée et nécessaire - pour échapper sans doute aux « flics de la raison », pour parler un peu comme Léo Ferré, aux yeux des militaires et des ministères...
Il y avait là comme une espèce de langage codé en effet, que ne pouvaient entendre que les artistes et les fous, qui ne pouvait être perçu que par quelques oreilles fines, quelques âmes sensibles. Je comprenais pour la première fois, ce fut l'unique fois d'ailleurs que je vécu une chose pareille, que le langage pouvait signifier autre chose que ce dont il semblait parler à première vue. Mon bouleversement fut total. Ce livre changea absolument ma vie et ma sensibilité.

Plus tard, quand je lus sous la plume de Nietzsche que Dostoïevski avait été le seul écrivain à lui avoir vraiment appris quelque chose en psychologie, je le compris à ma façon : il avait totalement refait ma psychologie à moi aussi. Du Max que j'étais jusqu'alors, je devins cet homme un peu étrange et abstrait que je suis aujourd'hui - en une après-midi.
Il faut dire que mon schizophrène de professeur me préparait déjà depuis cinq ans à la chose, attendant patiemment, et avec force sarcasmes, que tout ce monde murisse en moi. Ne m'appelait déjà t-il pas « Kafka » depuis des années ?

Cette « rencontre », totalement folle, et peut-être imaginaire, avec une oeuvre ne peut, j'imagine, se passer qu'une seule fois dans une vie. La grande première, la décisive. Ce rapport de folie, de fureur et de passion, qui mène aux larmes et qui remet tout en question, doit avoir lieu, j'imagine, comme ce fut mon cas, à l'adolescence. Mais je la crois indispensable, pour savoir, un tout petit peu et de très loin, de quoi l'on parle quand on parle « d'art »...

- Le reste, disait mon professeur - mi-méprisant mi-ennuyé, et en baillant -, peut être très sympathique, très plaisant, très aimable : « on passe une bonne soirée »... mais ça ne va pas plus loin.

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