Eté 95 / Septembre 98

« Du reste, c’est une nature malheureuse que la mienne : je voudrais une harmonie exquise dans tous les détails de la vie ; souvent des choses qui passent pour élégantes et jolies me choquent par je ne sais quel manque d’art, de grâce particulière et de je ne sais quoi.

Fichue existence, va ! Vraiment, on ne tourmente pas ainsi les gens…

Des futilités ?… Tout est relatif et si une épingle vous fait autant de mal qu’un couteau, qu’est-ce que les sages ont à dire ? » 

Marie Bashkirtseff

Comme je comprend ce sentiment d'insatisfaction.

La vie est toujours blessante et elle vous coupe de tout coté.

Toute attente est déçue et les désirs, à jamais inassouvis.

Avec l'âge, cependant, je suis devenu, pour ma part, beaucoup moins dur avec le réel, toujours si décevant. Si les autres m'affligent, je m'afflige tout autant et le fait de me ranger parmi mes motifs d'afflictions me rend plus tolérant envers le Grand Tout.

Jeune, cependant, j'ai vécu un peu à la manière de cette diariste, en quête de beauté et d'absolu. Mais d'une façon plus masochiste avec celui que j'aime appeler "mon professeur".

Là, c'était bien moi la source d'affliction permanente.
Mon existence même, pour cet homme, était un scandale. J'exagère sans doute, mais c'est ainsi que je le vivais.
Je ressentais ce sentiment odieux de choquer par ma seule présence une sensibilité supposée exquise et élevée.

Il rêvait d'Esmeralda dansant sur les toits et je n'étais que Quasimodo...

Et puis, j'en eu marre.

Non, je n'étais pas un cloporte Kafkaïen, non, pas cet espèce de cafard « old school » qu'il voulait que je sois. J'étais une Lolita. Je le voyais bien dans les yeux de nombreux Humbert Humbert.

« J'avais un élève : Jacques. Il était juif. Je l'aimais bien : Je remettais ses poèmes en ordre. C'était nul... ! Il s'est suicidé. Ce n'est sans doute pas de ma faute. »

Je trainais dans la ville, je prenais le soleil allongé sur des bancs publics, je commençais à respirer. Je copinais avec des filles de mauvaise vie qui m'entrainaient bien vite dans des bars louches et très mal fréquentés. Je me mis à boire pour étourdir mon chagrin de n'être pas aimé. Les mauvais garçons m'aimaient bien eux, mais je ne leur accordais que quelques baisers farouches, du bout des lèvres.
Je témoigne ici qu'aucun de ces jeunes hommes ne me forcèrent jamais à quoi que se soit ni ne firent preuve de violence avec moi. Je n'ai jamais été violé, harcelé, tout ça. Au contraire je dirais, même chez les plus rustres et les plus méchants, j'imposais une sorte de distance que je ne m'explique pas. Et qu'ils respectaient. J'en étais un peu décontenancé d'ailleurs. J'aurais bien aimé, moi aussi, qu'on me « bouscula » un peu, qu'on me fasse « voir les étoiles ». Ils ne s'en privaient pas avec les autres. Mais non, j'étais comme « le petit de la famille », celui qu'on protège, ou pire : la femme d'un ami. On ne touche pas à la femme d'un ami, même si elle est très belle.

J'étais maudit.

« J'étais Madame mais croyez-moi, je voulais être fille de joie. Je voulais être fille de joie... Ces choses-là n'arrivent qu'à moi. »

L'été commençait à me peser. Je rentrais chez moi et me mis à lire. Puisque j'étais marqué « femme de marin » il fallait bien que je me mette à lire.

Eté 95
Septembre 98

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