L'hiver



La grande tentation c'est le mensonge. Moins par volonté de tromper autrui que par peur de s'avouer à soi la vérité. S'il y a une vérité. Les félonies sont rares ; le mensonge le plus fréquent, c'est le bavardage. On ment par horreur du vide... Mais bavardage est lâcheté : peur du silence, peur de la vérité... C'est parole apeurée. Et nous sommes tous bavard en public, par cette peur. C'est pourquoi la solitude est une chance : pour une fois au moins aller au bout de son silence. Cette solitude est avant tout intérieure ; nous sommes solitude dit Rilke, au coeur du couple ou de la foule. Mais cette solitude est difficile, et l'on n'y atteint pas d'un coup. Il est plus simple d'abord de s'isoler, au sens matériel du terme : l'isolement n'est pas la solitude, mais peut y mener. Pédagogie du désert : faire le vide autour de soi, pour le trouver en soi. N'entendre plus personne, ne plus rien dire : écouter son silence... Il faut se taire d'abord pour ne plus mentir. L'hiver est la première saison de l'âme.


Mais ce silence, la vérité nue de ce silence, est-ce supportable ? Peut-on s'y tenir longtemps ? Je ne sais. Beaucoup y ont touché, puis s'en reviennent. Ils en gardent ce petit peu de brume au fond des yeux, tels d'anciens marins le rêve enfoui des grands voyages. A nouveau ils bavardent... Mais ceux qui ne cèdent pas, ceux qui résistent, et même si ce n'est pas toujours, et même s'il faut louvoyer parfois, ceux qui gardent en eux, immense et vide, ce continent sauvage - leur solitude -, ceux qui naviguent au plus près du néant, et tant pis pour qui se perd, et tant pis pour qui se noie - ceux-là que trouvent-ils ? hic rhodus, hic salta... Que trouveraient-ils d'autres ? Au bord ultime du néant : le grand large de la vérité.
André Comte-Sponville.

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