Du corps

Ma mère, quand je l'interroge, avoue sans gêne aucune - c'est Sarkozy je crois qui a inauguré cette décomplexion de tous les états d'âmes - que si c'était à refaire je ne serais jamais né. Je trouve ça sympa ma foi. Car très franchement, je m'en serais bien passé moi-même.

Je crois avoir hérité de toutes les névroses familiale. Autant « coté père » que « coté mère ». Un vrai bonheur. Heureusement, il n'y aura plus personne après moi. Je ne suis pas à ce point sadique que je veuille "transmettre" à tout prix toutes ces tares à un pauvre être sans défense, sans lui demander son avis avant.

J'ai toujours eu un problème avec la nudité. Chez nous, le corps, le désir, plus largement la sexualité, n'était pas assez reluisante pour qu'on l'exposa en modèle. On essayait plutôt de l'occulter. L'amour, le rire et la joie simple de vivre, de forniquer aussi, n'étaient pas au menu.
C'était la vieille France. Celle qui sentait bon le romarin, la lavande et la naphtaline, la rage et la haine, la rancoeur et l'ennui, ce vieux monde « Boum Boum nous voilà » à la grand papa, qui cause tant de nostalgie à ce cher Eric Zemmour.

D'où un rapport au corps, au sensuel et à l'amour, un peu compliqué pour l'enfant puis l'adolescent que j'allais devenir.

Devenir « adulte » - mais existe-il des adultes ? - c'est peut-être se débarrasser de ces vieilles guenilles familiales. Oublier, morts après morts, décennies après décennies, ces vieux fantômes grimaçants, ces squelettes de placards angoissants, et devenir, bon an mal an, à la va comme je me libère, quelque chose qui ressemblerait à un "soi-même" ?

Malgré cela, je suis toujours gêné quand un vieux corps disgracieux se dénude. Ces espèces de vieillards lubriques avec leurs vieilles trop bronzées hantant les plages naturistes, exhibants sans complexes des horreurs dignes de films Gore, non, vraiment, ce n'est pas tenable, c'est insupportable. Cela heurte mon sens esthétique.

Je ne suis pas pudibond. J'aime la nudité. Mais il y a des âges pour tout selon moi. Je veux dire pour rester un tant soi peu décent et fréquentable. Le temps de la nudité et du sexe, encore selon moi, est réservé aux très jeunes années. Au temps du Lilas, celui de la grappe offerte. Un corps adolescent, parfait jusque dans sa candeur quoi de plus émouvant, de plus désirable, de plus beau ? Humbert Humbert, ce vieux salopard, ne s'y était pas trompé.

Au delà de cinquante ans, veuillez couvrir vos vieux restes et faire vos affaires en privé, merci.

Arf ! quand je pense à cette femme de soixante ans en mini short qui gambadait et faisait la jeunette ! Je n'arrivais pas à détourner mon regard de ses vieilles cuisses nues. Tout le monde s'en rendait compte et je passais pour un pervers, un type bizarre, alors que pour moi l'extrême bizarrerie c'était une telle exhibition !

Et en même temps, je dis tout ça...

C'était sur Arte, je devais avoir quinze ans. Déjà, j'aimais vivre la nuit, et une nuit ils passaient ce film, que je n'ai jamais su retrouver.

C'était l'histoire d'amour d'un couple d'âge mûr. Un film très silencieux et un peu triste. Les personnages ne parlaient pas beaucoup. Ils lisaient. Fumaient. Pensaient. Ecoutaient quelquefois de la musique.

Bien sur, ils ne faisaient plus l'amour. La femme en était plus affectée que l'homme. Elle vivait moins bien que lui le fait de devoir lentement abandonner la vie.
Une nuit, après une sorte de dispute, très digne, il la rejoint très doucement dans son lit. Il s'allonge calmement près d'elle dans la semi-obscurité. Elle est réveillée mais n'ose pas bouger. Il commence timidement et avec beaucoup de délicatesse et de respect à caresser son corps. Elle ne se retourne pas, très émue, et se laisse très farouchement faire. Il y avait si longtemps...

Ce qui m'a particulièrement touché dans cette scène-là c'était la grâce, l'extrême beauté, le désespoir de cet échange amoureux. Certes, le corps de sa femme n'était plus désirable comme à vingt ou trente ans, mais le lien qui les unissait était beaucoup plus fort qu'une simple tension érotique, qu'une concupiscence obscène.

Il me semblait, et j'en étais, malgré mon jeune âge, profondément troublé, que les vieux doigts noueux de l'homme exploraient le corps de cette femme qui ne voulait pas mourir avec une sorte de douceur "esthétique", comme l'on toucherait une feuille morte, ou une châtaigne dans un sous-bois - je suis peut-être maladroit dans mes comparaisons-, avec une noblesse qui me faisait monter les larmes.

C'était vraiment très beau cet amour-là. Je ne sais pas lui rendre justice. Les images de ce film c'était de la poésie pure. Le contraire de la pornographie.

J'aurais aimé avoir assez de noblesse pour le vivre un jour cet amour-là. Etre un homme assez profond et silencieux pour savoir aimer un corps mordu par le temps. Avoir ce coeur d'artiste, cet oeil et cette main d'esthète sur le réel. Pouvoir vivre cette ultime étape de l'amour.

Mais je crois que je suis trop lâche.

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